Chaque année, la fondation Mo Ibrahim, dédiée à la promotion de la bonne gouvernance en Afrique, publie un rapport attendu sur le bilan et les perspectives du continent africain. L’édition 2021, rendue publique le 6 décembre, s’inquiète de l’impact de la crise sanitaire. Avec seulement 6% de la population vaccinée, les efforts de reprise économique sont fortement hypothéqués, sur un continent où les systèmes de santé restent très inégaux.
« Le défi des vaccins est l’obstacle le plus urgent à surmonter en Afrique. Aucun redressement COVID-19, économique ou social, ne peut être atteint sur le continent sans une augmentation significative des taux de vaccination. C’est également la clé de la reprise mondiale, car personne n’est en sécurité tant que tout le monde ne l’est pas ». La position de la fondation Mo Ibrahim pour la bonne gouvernance en Afrique est claire, et sonne presque comme une sentence. Dans son dernier rapport portant sur la gouvernance et la gestion de la pandémie en Afrique, publié le 6 décembre dernier, l’organisation non gouvernementale tire la sonnette d’alarme sur le faible taux de vaccination en Afrique, qui pourrait compromettre les multiples efforts des gouvernements pour juguler les effets néfastes de la crise, favoriser la reprise économique et anticiper sur d’éventuelles crises sanitaires. C’est dans ce sillage que le rapport révèle en effet que seulement 6,8 % de la population africaine a déjà été vaccinée, contre 66,8 % pour les sept pays les plus développés au monde (Etats-Unis, Japon, Allemagne, Grande Bretagne, Canada, France, Italie). Autrement dit, sur les plus de 7,6 milliards de doses de vaccins administrées à travers le monde, les pays d’Afrique n’ont pu en obtenir que 2,9 %. Un faible taux de vaccination qui s’explique, selon la fondation, par la réticence des populations africaines vis-à-vis du vaccin mais aussi par l’insuffisance de moyens des pays pour accéder à des quantités suffisantes de doses de vaccins pour leurs populations.
Au vu de cette faible performance, les objectifs de lutte assignés aux Etats pour parvenir à endiguer la pandémie à travers le monde ne pourraient être atteints. Selon la même source, « moins de 10 % des pays africains atteindront les objectifs clés de la campagne COVID-19 de vaccination. Seuls cinq pays africains atteindront probablement l’objectif de l’OMS pour 2021, à savoir 40 % de leur population. Les Seychelles, l’île Maurice et le Maroc, ont déjà atteint l’objectif ; la Tunisie et le Cap-Vert devraient l’atteindre ».
Les 10 challenges à relever le plus tôt possible
Dans son souci d’améliorer la gouvernance en matière de santé publique en Afrique, et précisément dans la gestion de la pandémie de la Covid-19, la fondation Mo Ibrahim préconise une dizaine de mesures urgentes à mettre en œuvre. Des challenges qui vont de l’autonomie dans la production des vaccins, à la réforme du système sanitaire des pays d’Afrique, de même qu’à l’amélioration des données statistiques sur l’état civil, l’établissement des statistiques plus fiables sur la pandémie, la conformité aux régulateurs internationaux de la santé…
Pour le cas précis de l’autonomie dans la production des vaccins, la fondation révèle par exemple que : « L’Afrique représente 25% de la demande mondiale de vaccins mais dépend des importations pour 99% de ses besoins en vaccins courants. Seuls 10 acteurs locaux de la chaîne de valeur des vaccins sont présents en Afrique, principalement dans les étapes en aval (remplissage et finition, emballage et étiquetage, importation et distribution). Ce sont donc d’importants capitaux que l’Afrique dépense dans l’importation de produits médicaux et depuis 2021 dans l’importation des vaccins. Or, l’économie africaine aurait bien pu profiter de cette pandémie pour industrialiser son secteur pharmaceutique. C’est pourquoi, la fondation réitère son souhait de voir lever la barrière de la propriété intellectuelle sur le vaccin contre la Covid-19. Car avec les nouveaux variants, dont l’Omicron notamment, rien n’est encore joué. Bien plus : « L’Afrique doit vacciner 70 % de sa population d’ici la fin de 2022 pour avoir une chance de contrôler la pandémie de COVID-19 », atteste l’institution.
Amélioration des systèmes de santé africains
Le rapport de la Fondation Mo Ibrahim sur la gouvernance en matière de santé révèle par contre une amélioration considérable du système de santé dans plusieurs pays. Entre 2010 et 2019, l’Afrique totalise 45.5 sur 100 points en termes de taux d’accès aux soins. Une performance en hausse de +0,4 points comparé à la décennie d’avant. Quelque 33 pays ont connu une progression et 20 autres une détérioration. Dans le ranking dressé par la fondation, le Botswana est le pays qui offre le meilleur taux d’accès aux soins de santé, bien qu’il ait enregistré une grande régression sur la décennie. Il est suivi des Seychelles (nette progression), du Lesotho (légère progression) et du Rwanda (régression). Le Mali se loge à la 8e place du classement, mais enregistre la meilleure progression de ces dix dernières années sur le continent, suivi de l’Ethiopie, de la Côte d’Ivoire et des Comores.
A contrario, la Guinée Bissau connaît la plus grande détérioration de la décennie et se situe à la dernière place du classement.
Par ailleurs, note le rapport, l’Egypte est le pays qui est le plus conforme aux normes sanitaires internationales. Ces normes incluent la législation, la politique, le financement national, la coordination et la communication, la surveillance des maladies, la gestion de l’information, la préparation, la communication, les ressources humaines, les laboratoires… Elle est suivie du Maroc et de l’Afrique du Sud, puis des Seychelles. Si de manière globale, le système sanitaire s’améliore en Afrique, le continent peut faire mieux, conclut la fondation Mo Ibrahim. Pour ce faire, les challenges tels que la fuite des cerveaux, le financement public de la santé ou encore la mise en place d’une industrie pharmaceutique locale doivent être relevés.
Canicha Djakba