Eda Nuhoglu, cofondatrice du cabinet PN Miller, spécialisé dans le placement des ressources humaines en Europe et en Afrique, présente les atouts et les défis du marché de l’emploi en Afrique. Interview.
Makers : Depuis 2015, Serra Pelit et vous êtes directrices générales du cabinet de recrutement PN Miller. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre entreprise ? Comment est né ce cabinet, quels sont ses atouts, son mode de fonctionnement, ses représentations dans le monde et sa clientèle ?
Nous avons toutes deux une grande expérience sur les marchés émergents, y compris sur l’Afrique, ainsi que dans les affaires, l’événementiel, la vente, et les ressources humaines… Serra et moi avons remarqué que les entreprises internationales étaient très intéressées par ces environnements, mais qu’elles ne savaient pas vraiment comment y travailler et trouver les bons talents. C’est pourquoi, nous avons créé PN Miller. Notre conviction est que l’Afrique est en pleine ascension et sa croissance doit être soutenue par une offre de ressources humaines complète. À bien des égards, nous fonctionnons comme un pont entre l’Europe et l’Afrique. Pour nous le recrutement n’est pas seulement trouver le bon candidat, c’est aussi accompagner le client dans ce marché qui évolue rapidement, et préparer le candidat sur la manière d’appréhender son expérience professionnelle sur le continent.
Quelles sont jusqu’ici les performances de votre cabinet sur le marché de l’emploi en Europe et en Afrique précisément ? Quel intérêt y a-t-il pour une entreprise à solliciter vos services ?
Nous travaillons avec un bon nombre de clients opérant sur tout le continent, pour trouver les bons talents. Nous le faisons en puisant dans le marché global, dans notre propre réseau professionnel, dans les universités et les salons de l’emploi. Ce qui nous rend unique, c’est que nous sommes rapides, réactifs et flexibles, des qualités qui sont importantes lorsqu’on opère dans un environnement aussi dynamique que celui de l’Afrique. Nous ne facturons pas de frais initiaux, l’exclusivité n’est pas obligatoire. Si vous ne sélectionnez pas l’un de nos candidats, vous n’êtes pas facturés. Au vu de la situation exceptionnelle, nous comprenons que nos clients recherchent du confort et de la tranquillité dans leur partenariats, c’est là que PN Miller se distingue.
Quels sont les défis auxquels fait face PN Miller en Afrique, mais de manière globale également, les entreprises et cabinets de recrutement ?
Recruter des talents internationaux, alors que la pandémie impose des restrictions strictes à la mobilité, c’est la principale difficulté que rencontrent les organisations à travers le monde. L’autre défi persistant auquel nous sommes confrontés est celui de la gestion des idées fausses sur l’Afrique. Ce continent est encore si souvent traité comme un monolithe géant, plutôt que comme un continent diversifié, comptant 54 pays et plus de 2 000 langues parlées. Comprendre les nuances du travail en Afrique est primordial dans notre travail, afin que nos clients multinationaux puissent détecter les différences essentielles entre le recrutement d’un candidat pour un poste en Afrique du Sud, par exemple, et celui d’un candidat au Mozambique. Il s’agit de deux pays qui partagent une frontière géographique, mais qui parlent des langues différentes et dont les environnements professionnels et la législation du travail sont complètement différents.
Pouvez-vous dresser un rapide état des lieux du marché de l’emploi en Afrique : quels sont les secteurs qui recrutent, les « métiers de demain » et ceux qui sont en perte de vitesse ? Quels sont les profils les plus recherchés ?
Deux grandes tendances sont à suivre de près sur le marché africain. La croissance explosive de la population d’une part et l’urbanisation rapide du continent d’autre part. D’ici 2050, la population africaine devrait atteindre 2,5 milliards de personnes. La majorité de cette population sera constituée de jeunes vivant pour la plupart en ville. Le continent où jusqu’ici deux tiers de la main-d’œuvre est composé d’agriculteurs est en train d’évoluer assez rapidement, vers une économie basée sur les services. C’est déjà le cas aujourd’hui, avec l’incroyable essor de la technologie numérique. L’économie africaine de l’internet, qui comprend les banques, les technologies financières et les sociétés de capital-risque, reste mal desservie et manque de personnel. Au Nigeria et en Afrique du Sud, où l’on observe les plus fortes avancées, des pénuries de développeurs web sont déjà largement signalées. Cette situation se produit alors même que ces deux pays enregistrent des taux records de diplômés en développement web et qu’ils incubent davantage de talents.
Observez-vous une inadéquation entre les profils des talents africains et les compétences recherchées sur le continent ?
Oui, et nous pensons que cela est lié aux changements démographiques assez rapides que connaît l’Afrique. Même si les taux d’alphabétisation et les niveaux d’éducation ont atteint des sommets, le continent dispose d’une main-d’œuvre jeune et peu formée, qui tente constamment de suivre l’évolution rapide des compétences dans d’autres régions du monde.
Pensez-vous qu’un meilleur placement des diplômés sur le continent puisse aider à résoudre le problème de la fuite des talents vers l’Europe ou les Etats-Unis ? Quid de la mobilité intra-africaine ?
La majorité des membres de la diaspora africaine qui revient sur le continent pour y vivre et y travailler est l’une des évolutions incroyables qui se produit actuellement. Les gouvernements de pays comme le Ghana, dont la diaspora compte plus de 3 millions de personnes, ont même une stratégie de développement national fondée sur l’accueil de leur diaspora. Nous constatons également qu’un grand nombre de diplômés africains qui, par le passé, auraient quitté le continent pour exercer une profession en Europe ou en Amérique du Nord, ont choisi de rester et de réussir en Afrique. Il s’agit d’un phénomène moderne qui combine parfaitement l’évolution des cultures, de la démographie et des conditions socio-économiques. Le résultat est que les entreprises peuvent puiser dans un réservoir de contenu local du plus haut niveau dans leurs universités et peuvent également attirer les meilleurs talents de l’étranger.
Observez-vous une « africanisation » des postes à responsabilité, notamment dans les antennes africaines des groupes internationaux ?
Une vieille expression dit : « Vous ne pouvez pas être ce que vous ne pouvez pas voir ». C’est devenu une sorte de cri de ralliement dans tous les bureaux et salles de conseil à travers le monde, et pas seulement en Afrique. Je fais appel à cette citation pour souligner que l’équité et l’inclusion sont des priorités immédiates dans les pratiques d’embauche des entreprises. Les entreprises sont mises au défi aujourd’hui, plus que jamais par le passé, sur la question de la parité sur le lieu de travail en fonction du sexe, de l’origine et d’autres considérations liées à la diversité. Cela se produit depuis l’usine jusqu’aux échelons supérieurs des entreprises. L’objectif final est bien sûr de faire en sorte que la main-d’œuvre d’une entreprise ressemble aux communautés qu’elle sert. Dans plusieurs pays africains, le contenu local est inscrit dans les lois nationales, afin de garantir l’emploi de ressortissants nationaux par les entreprises, afin qu’elles maximisent les retombées locales dans les pays où elles travaillent. En Afrique du Sud, par exemple, elle prend la forme du Black Economic Empowerment, un programme conçu pour corriger les inégalités de l’apartheid. On peut également citer le Nigeria, où le Nigeria Content Development and Monitoring Board veille à l’inclusion de ressortissants et des entreprises nigérianes dans tous les segments de la chaîne d’approvisionnement en pétrole et en gaz du pays.
Propos recueillis par la rédaction