Lien source : The Conversation
Très populaire chez les jeunes, la plateforme numérique TikTok est considérée comme l’une des plus problématiques en raison de la propagation massive de fausses informations. De nombreux pays ont déjà interdit TikTok, pour différents motifs : risque d’espionnage au profit de la Chine, manipulation de l’opinion, mise en danger des jeunes utilisateurs en raison de contenus violents.
En 2024, la Commission européenne a ouvert une procédure contre TikTok. En France, l’Assemblée nationale doit examiner – dans la semaine du 11 mars – la création d’une commission d’enquête concernant les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, notamment les risques de pensées et de comportements suicidaires.
Banni en janvier 2025 aux États-Unis, TikTok reste l’une des plateformes les plus influentes au monde, avec 1,5 milliard d’utilisateurs actifs dans le monde et 15 millions d’utilisateurs mensuels en France. Un enfant sur deux âgés de 11-12 ans possède un compte TikTok dans l’hexagone selon l’ Arcom , alors que l’âge pour s’inscrire est de 13 ans. Plébiscitée par les jeunes générations, elle façonne leur rapport à l’information et concurrence de plus en plus les médias traditionnels. Mais ses défis viraux et ses vidéos populaires, une inquiétude grandiose : TikTok est-elle devenue un accélérateur de désinformation et un outil d’influence opaque ? Quel est l’impact de son modèle algorithmique sur l’esprit critique et la démocratie ?
Des recherches montrent que TikTok est un terrain propice à la désinformation . Une étude a mené entre janvier et mars 2020 a révélé que 20 % à 32 % des vidéos sur le Covid-19 diffusées sur la plateforme contenaient des informations fausses ou trompeuses. En 2022, une analyse menée par Newsguard a confirmé ces éléments, révélant que 20 % des vidéos d’actualité sur TikTok contenaient des informations trompeuses.
Contrairement aux médias traditionnels qui vérifient leurs sources et intègrent des outils de fact-checking, TikTok repose sur un algorithme opaque et ultrapersonnalisé, conçu pour maximiser l’engagement des utilisateurs, sans considération pour la fiabilité des contenus, sans hiérarchisation de l’information ni labellisation des contenus. Plus une vidéo est virale, plus elle est mise en avant, qu’elle soit vraie ou non.
TikTok face à Twitter et Facebook : quelles spécificités dans la propagation de la désinformation ?
Contrairement à Facebook et Twitter, où la viralité repose principalement sur le partage manuel et les interactions des utilisateurs, TikTok promet immédiatement les contenus à un large public, sans nécessiter d’intervention active.
Une étude de l’Integrity Institute montre que TikTok amplifie davantage la désinformation que ses concurrents, alors même que X (Twitter) est connu pour diffuser les fausses informations six fois plus rapidement que les vraies . Cette dynamique alimente un phénomène de mésinformation accumulée, où les fausses informations circulent plus vite et plus largement que les vérifiées.
Le format court et engageant de TikTok est un atout pour la viralité , mais un frein pour l’analyse critique. Contrairement à YouTube, Facebook ou X (Twitter), qui permettent des vidéos longues, des articles détaillés ou des fils de discussion, TikTok impose une logique de rapidité, avec des vidéos comprenant généralement entre 15 et 60 secondes.
Conséquences :
- pas le temps d’approfondir ou de contextualiser l’information,
- l’utilisateur consomme passivement sans effort de vérification,
- une fake news percutante devient plus crédible qu’un démenti détaillé,
Un défilement continu et un algorithme favorisant la désinformation
Le défilement infini de TikTok, où les vidéos s’enchaînent sans interruption, encouragent une consommation passive des contenus. Ce format limite le temps de réflexion et de vérification des informations, amplifiant ainsi la viralité des vidéos non vérifiées.
Cette dynamique favorise la propagande informatique c’est-à-dire l’utilisation des algorithmes, de l’automatisation et de l’anonymat pour manipuler l’opinion publique et diffuser massivement des contenus trompeurs. Concrètement, des robots automatisés peuvent être utilisés pour partager des vidéos de manière coordonnée, donnant une fausse impression de soutien populaire. c’est ainsi que le défilement infini devient un levier stratégique pour la diffusion de la désinformation à grande échelle.
En mai 2024, l’ONG Global Witness a révélé l’incapacité de la plateforme à détecter des publicités contenant des fausses informations, notamment en période électorale, malgré une refonte de sa modération , en octobre 2024, au profit de l’IA.
TikTok utilise également des stratégies sonores sophistiquées pour manipuler l’opinion, renforçant ainsi la diffusion de fausses informations. En amplifiant l’émotion et la viralité, les contenus sonores facilitent la diffusion massive de fausses informations.
Les jeunes, une cible privilégiée
Selon une enquête de Statista, réalisée entre avril 2023 et mars 2024, 69 % des adultes français de moins de 30 ans utilisent régulièrement TikTok, témoignant de l’influence croissante de l’application sur cette tranche d’âge. Parallèlement, une étude de l’Ifop a révélé que 69 % des 18-24 ans adhèrent à au moins une contre-vérité scientifique, illustrant l’ampleur du défi en matière d’éducation à l’information.
Or, TikTok exerce une influence majeure sur les perceptions des jeunes générations, notamment en raison de l’absence de confrontation d’idées. Comme d’autres plateformes, son algorithme tend à renforcer les « bulles de filtre », enfermant les utilisateurs dans des environnements d’information qui consolident leurs croyances en leur proposant des contenus alignés avec celles-ci.
Ce phénomène a déjà été mis en lumière dans des études s’intéressant au rôle des réseaux sociaux dans la radicalisation des jeunes. Ces recherches montrent que les groupes djihadistes exploitent les failles des algorithmes pour diffuser leurs idéologies à travers des contenus émotionnels et percutants.
Enfin, TikTok a diffusé massivement des défis viraux mettant directement en danger la vie des jeunes utilisateurs. On peut citer le tristement célèbre « Blackout Challenge » qui consiste à se priver d’air jusqu’à l’évanouissement, ou le « Skullbreaker Challenge » , qui consiste à faire tomber son ami en lui faisant un double crochet-pied provoquant des chutes brutales et des accidents.
TikTok, un danger pour les démocraties ?
Accusé de servir les intérêts de la Chine, TikTok est désormais dans le viseur des autorités. En juillet 2023, un rapport du Sénat français a énoncé les risques d’espionnage et de manipulation via la collecte de données par ByteDance, sa maison mère chinoise.
Plus récemment, le rapport Viginum (février 2025) a révélé que des acteurs étrangers avaient exploité les failles de modération de la plateforme pour influencer l’élection présidentielle roumaine.
À travers le monde, plusieurs pays ont décidé de restreindre ou d’interdire TikTok .
Trois principales raisons expliquent ce choix :
- La sécurité nationale et la souveraineté numérique
Les États-Unis ont interdit TikTok en janvier 2025 par crainte que les données des utilisateurs soient accessibles aux autorités chinoises. L’Inde avait déjà pris cette mesure en 2020 dans un contexte de tensions frontales avec la Chine.
- La préservation des valeurs culturelles
Des pays comme l’Afghanistan, le Pakistan, le Népal et la Jordanie ont suspendu TikTok, jugeant certains contenus inappropriés ou susceptibles de provoquer des tensions sociales et religieuses.
- La protection des jeunes et lutte contre les contenus violents
L’Albanie a suspendu l’application en 2024, l’accusant de favoriser le harcèlement chez les jeunes, devenant ainsi le premier pays du continent à maintenir totalement TikTok (pour un an). En Somalie, c’est la diffusion de contenus liés au terrorisme qui a motivé son interdiction.
Quelles options pour réguler TikTok en France et dans l’UE ?
Face aux préoccupations croissantes liées à TikTok, la France et l’Union européenne ont adopté des mesures pour encadrer l’utilisation de la plateforme. En mars 2023, la France a interdit l’installation d’applications « récréatives », dont TikTok, sur les appareils professionnels des fonctionnaires, invoquant des risques pour la sécurité nationale.
Parallèlement, l’Union européenne a mis en place le Digital Services Act (DSA), imposant aux plateformes en ligne des obligations accumulées en matière de transparence des algorithmes et de stockage des données. En cas de non-conformité, des sanctions pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise sont prévues.
En février 2024, la Commission européenne a ouvert une procédure formelle pour évaluer si TikTok a enfreint le Digital Services Act, notamment en ce qui concerne la protection des mineurs et la transparence publicitaire. Il s’agit de la deuxième procédure de ce type dans le cadre de nouvelles règles européennes après celle [concernant X (Twitter)]
Les résultats n’ont pas encore été publiés et aucune durée fixe n’est prévue pour ces procédures. Le DSA confère à la Commission le pouvoir d’imposer des sanctions financières. Cependant, une interdiction totale de TikTok en Europe serait une mesure extrême – non prévue par le DSA – et nécessiterait une décision politique complexe.
Aujourd’hui l’Union européenne s’en tient à la recherche d’un équilibre – délicat – entre la protection des utilisateurs – notamment les plus jeunes – et la préservation des libertés numériques.