La transition vers la cuisson propre, longtemps retardée en Afrique, échouera sans une refonte en profondeur du mode de financement, de transport et de réglementation du GPL (gaz de pétrole liquéfié) sur le continent, ont déclaré les spécialistes lors d’une table ronde de haut niveau, dans le cadre du Forum du G20 sur les investissements énergétiques en Afrique, qui s’est tenu dernièrement à Johannesburg.
Les intervenants ont souligné un rare alignement du soutien politique – suite à l’adoption par le G20 de la cuisson propre comme domaine prioritaire – mais ont averti que les lacunes critiques en matière d’infrastructures et un écosystème financier défaillant ralentissaient les progrès. Pour le cas de l’Afrique du Sud en particulier, constat est fait que la demande de GPL s’élève environ à 500 000 tonnes, mais l’offre reste limitée en raison de la fermeture de raffineries et d’un réseau de transport fragmenté. Pour Sesakho Magadla, PDG par intérim de PetroSA, la remise en service des raffineries est devenue une priorité, ajoutant que la société vise à se mobiliser d’ici 2026 pour soulager la pression sur le marché intérieur.
Mais les infrastructures ne se limitent pas à la production. PetroSA examine actuellement la possibilité d’améliorer le réseau ferroviaire, en particulier la liaison entre Saldanha Bay et le Mozambique, afin de réduire les encombrements et de transporter le GPL à grande échelle. Cela nécessite « une collaboration au-delà du secteur de l’énergie », a souligné M. Magadla, « afin que, lorsque le réseau ferroviaire sera opérationnel, il soit possible de relier le réseau de transport fragmenté existant et de transporter le produit ». Les opérateurs du secteur privé ont fait écho à cet appel en faveur d’une réforme majeure des transports.
Tamsin Rankin Donaldson, cadre chez Petredec, a déclaré que la mauvaise logistique et la capacité limitée des terminaux ajoutaient « une prime de 10 à 20 % » au coût du GPL, car les entreprises sont obligées de transporter des produits plus petits via des terminaux plus petits. « L’Afrique a un besoin urgent d’infrastructures qui nous permettent d’importer des volumes plus importants, notamment des terminaux capables d’accueillir des méthaniers de très grande capacité (VLGC) », a-t-elle déclaré. Petredec construit actuellement le terminal GPL de Tanga en Tanzanie et étudie la possibilité d’une liaison ferroviaire entre Richards Bay et les marchés intérieurs de l’Afrique australe. Sa principale demande en matière de politique était claire : les gouvernements doivent donner la priorité à la « rationalisation des processus d’autorisation » afin d’accélérer le calendrier des projets.
L’enjeu du financement et des données
Si les infrastructures déterminent l’accessibilité financière, le financement détermine quant à lui si les projets passent du stade de concept à celui de construction. « Le mécanisme de financement vert est sous-utilisé », a déclaré Titus Mathe, PDG de l’Institut national sud-africain pour le développement énergétique, qui a ajouté que les investisseurs ne disposaient pas des données nécessaires pour quantifier les réductions d’émissions et les économies d’énergie résultant des interventions en faveur d’une cuisson propre. « Quand on pense à la cuisine propre et au GPL, le plus grand défi réside dans les données. » Il a ainsi appelé à la création d’une plateforme de données unifiée à l’échelle africaine sur la cuisson propre et a proposé la création d’un mécanisme de financement dédié soutenu par l’Union africaine, le G20 et les institutions mondiales « afin que les projets GPL à travers l’Afrique puissent être accélérés pour atteindre les utilisateurs finaux ».
L’absence de voies d’accès aux crédits carbone a également dominé les échanges. Selon l’Agence internationale de l’énergie, l’Afrique a besoin de 37 milliards de dollars pour parvenir à un accès universel à la cuisson propre d’ici 2030, mais le cadre actuel des crédits carbone offre peu de soutien aux solutions basées sur le GPL. « Nous devons intégrer les crédits carbone dans le débat sur le GPL », a déclaré Anibor Kragha, secrétaire exécutif de l’Association africaine des raffineurs et distributeurs. Les cuisinières propres donnent droit à des crédits, mais pas le GPL, ce qui désavantage la solution la plus susceptible d’être rapidement déployée à grande échelle. « Les régions d’Afrique comme le Kenya qui ont accéléré l’adoption du GPL ont eu recours à des subventions, mais cela n’est pas viable », a-t-il aussi fait remarquer.
Débloquer des financements climatiques pour le GPL pourrait ainsi aider à remplacer les subventions par une croissance tirée par le marché. Pour les financiers, la clarté réglementaire est primordiale. Et eux d’ajouter que l’Afrique doit également attirer une main-d’œuvre compétitive pour mettre en œuvre les projets au rythme nécessaire. Rankin Donaldson a souligné pour sa part l’ampleur du défi : pour parvenir à un accès universel à une cuisson propre d’ici 2040, il faut 80 millions de nouveaux raccordements chaque année, soit « sept fois le rythme actuel ». Sans un investissement rapide dans les réseaux de transport, une réforme des permis et un cadre de crédits carbone qui reconnaisse les avantages climatiques du GPL, les intervenants ont averti que l’Afrique risquait de manquer une occasion unique de changer la donne.





