Le 23 juin 2016, la Grande Bretagne met un terme à son appartenance à L’Union européenne. Appelés à émettre leur avis dans le cadre d’un référendum, les Britanniques ont voté pour un oui. Une décision chamboulante à bien des égards.
Membre de l’UE depuis 43 ans et acteur majeur de l’économie sur le continent (2e puissance économique de l’Union européenne après l’Allemagne), la Grande Bretagne a pris le monde de court, imposant une réforme de ses partenariats économiques et commerciaux, longtemps ancrés à ceux de la communauté de l’UE. Pour le cas de l’Union européenne justement, cela a pris quatre ans d’intenses négociations. Pour d’autres, comme l’Afrique, avec qui la Grande Bretagne entretient des relations économiques toutes aussi intenses, plusieurs accords restent à être renégociés. Ce qui, sur le plan économique, induit plusieurs conséquences, aussi bien commerciales que sociales. Zoom sur l’impact du Brexit entré en vigueur le 1er janvier 2021.
Des échanges commerciaux affaiblis
Le Brexit a des conséquences négatives sur les économies africaines, qu’il s’agisse des régimes de préférence pouvant être accordés par le Royaume-Uni, des répercussions du ralentissement économique et de la chute de la livre sterling sur le commerce ou de l’investissement.
En règle générale, l’économie sud-africaine souffre dès que l’économie britannique décline. De nombreuses entreprises sud-africaines sont cotées à la bourse de Johannesburg et à celle de Londres, et plusieurs banques sud-africaines dépendent des réserves de liquidité britanniques. Le pays exporte 10% de sa production de vin vers le Royaume-Uni. L’Afrique du Sud est donc le plus important partenaire économique du Royaume-Uni, et devra de ce fait payer le prix fort du Brexit. Le ralentissement économique de la Grande Bretagne, 8e partenaire commercial de l’Afrique du Sud, a pour principale conséquence la baisse des exportations de l’Afrique du Sud vers la GB, de même que les importations. Ce qui pourrait réduire le Produit intérieur brut (PIB) sud-africain de 0,1%, voire plus. « Le Brexit risque d’imposer au PIB du Royaume-Uni une baisse cumulative de 2,75 points de pourcentage au cours des 18 prochains mois », estiment Jan Hatzius et Sven Jari Stehn, économistes de la banque d’investissement Goldman Sachs. La baisse du PIB pourrait aller jusqu’à 1%, prévoient-ils, ce qui constituerait une récession négative pour l’Afrique du Sud sur deux trimestres.
Par ailleurs, au-delà du Royaume-Uni, la baisse des échanges commerciaux de l’Afrique du Sud sera aussi perceptible au niveau de l’UE, et pourrait se matérialiser par une baisse de confiance des investisseurs et une recrudescence du chômage. Ce qui, de l’avis des spécialistes, ne présage rien de bon pour l’Afrique du Sud, ni pour les autres principaux partenaires commerciaux africains du Royaume-Uni, notamment le Nigéria, le Kenya et l’Égypte.
Pour le cas du Nigéria qui est le deuxième plus grand partenaire commercial du Royaume-Uni en Afrique, le Brexit pourrait avoir de plus graves conséquences. Car la première puissance économique d’Afrique, en plus de faire face à une baisse des prix du pétrole, sa première source de revenu et d’échange avec le Royaume-Uni, devra désormais gérer en plus la très probable baisse de la demande de pétrole. Une combinaison qui n’augure pas un redressement imminent de l’économie nigériane. Avant le Brexit, les échanges bilatéraux entre le Nigéria et le Royaume-Uni montaient à environ 6 milliards de livres (7,9 milliards de dollars) et devaient atteindre les 20 milliards (26,6 milliards de dollars) d’ici à 2020. Ce qui ne fut pas le cas, du fait notamment du Brexit.
Le troisième partenaire commercial qu’est le Kenya pourrait quant à lui souffrir d’une fuite de capitaux qui entraînerait une chute des exportations, notamment de celles des fleurs. L’industrie très lucrative des fleurs, pour laquelle le Royaume-Uni constitue le second marché d’exportation après les Pays-Bas, se fragilise et pourrait davantage souffrir. La monnaie kényane s’en trouverait affaiblie et les exportations deviendraient plus coûteuses pour un pays dont les dépenses d’importation ont déjà augmenté de 10% au cours des cinq dernières années. Si la négociation d’un accord commercial entre la Communauté d’Afrique de l’Est et l’UE est bloquée par le Brexit, le Kenya risque de perdre des milliards de shillings, ce qui pourrait fragiliser les exportations du pays.
Les principaux pays affectés seront donc l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Botswana, l’Angola, le Kenya, le Ghana et le Sénégal, avec lesquels, selon Barclays, 80% des exportations britanniques en Afrique subsaharienne se font.
Des investissements réduits
Un recul de l’économie du Royaume-Uni pourrait réduire le volume du commerce de ce pays avec l’Afrique du Sud, ainsi que ses investissements en terre sud-africaine, selon les prévisions faites par certains économistes. Selon plusieurs études, les effets directs de la sortie britannique de l’Union européenne seront plutôt « négligeables », comparés aux effets indirects. L’une des conséquences immédiates du Brexit serait de rendre les liquidités internationales plus chères et moins disponibles. Cela pourrait affecter les pays africains qui souhaitent lever des fonds sur les marchés internationaux, par exemple pour financer leurs infrastructures. Bien plus, les conditions de financement sur les marchés internationaux, déjà difficiles, le deviendraient encore davantage.
En dehors des exportations et de l’aide internationale, le ralentissement de l’économie britannique pourrait affecter les envois d’argent de la diaspora africaine au Royaume-Uni, qui constituent une injection bienvenue de liquidités pour les économies africaines. En 2014, ce sont les immigrés nigérians au Royaume-Uni qui ont envoyé le plus d’argent au pays, soit 3,7 milliards de dollars.
Une aide au développement moins importante
Le Royaume-Uni consacre 0,7 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement. Outre ses effets directs sur le commerce, le Brexit devrait perturber l’aide au développement versée à l’Afrique par le Royaume-Uni, dont la contribution au Fonds européen de développement (FED), destiné au soutien du développement dans les pays pauvres, qui est de 409 milliards de livres (543 millions de dollars), soit 14,8% du budget du FED. Les projets financés par l’UE, tels la construction de routes dans des pays comme la Tanzanie, pâtiront de cette absence de contribution britannique.
Une baisse de son économie va entraîner une réduction de l’aide que le Royaume-Uni affecte aux pays africains. Le Brexit pourrait également avoir des conséquences désastreuses pour l’aide au développement. Le Royaume Uni est l’un des plus généreux contributeurs au Fonds Européen de Développement, qui fournit des fonds aux pays et régions en développement. Le Royaume Uni contribue actuellement à hauteur de £409 millions, ce qui correspond à 14,8% des contributions au fonds.
Alors qu’un Brexit priverait le FED de la contribution britannique pour l’aide au développement, Kevin Watkins soutient que le versement direct de l’aide, par le Royaume Uni vers les pays en développement, aurait une portée géographique plus étroite que l’assistance déboursée à travers le FED. On se souvient de la présidence Britannique du G8 en 2005 et de l’annulation de la dette publique des pays Africains. Le Brexit pourrait conduire à un retranchement de l’extériorité avec de possibles implications négatives pour les initiatives de développement du Royaume Uni.
Le Brexit pourrait également avoir un impact sur le montant des fonds disponibles pour l’assistance au développement, notamment en direction de l’Afrique. Si le pays connaît un ralentissement économique prolongé en raison de sa décision de quitter l’UE, cela pourrait effectivement réduire en termes absolus le montant des sommes disponibles dans les coffres de l’aide.Le Royaume-Uni peut financer directement des projets en Afrique, mais il ne peut soutenir qu’un petit nombre de pays. Une économie britannique boiteuse dont la monnaie risque d’être affaiblie ne fournira sans doute pas le même niveau d’aide à des pays tels que l’Éthiopie et la Sierra Leone qui en sont fortement tributaires.
En juin dernier, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) est devenue la première région africaine à signer son APE avec l’UE. D’autres blocs régionaux, à savoir la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), ont terminé les négociations mais restent dans l’attente de la signature et de la ratification de leur APE. D’autres indiquent que l’incertitude pourrait affecter les flux d’investissements du Royaume-Uni vers le continent. « Du point de vue de l’Afrique, le contrecoup immédiat du Brexit a exacerbé des tendances préoccupantes des marchés internationaux qui ont déjà affecté les perspectives de croissance du continent », écrit Were.
Toutefois, un mal pour un bien?
Selon plusieurs autres avis, le Brexit n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, mais pourrait au contraire offrir de nouvelles voies pour une redéfinition de l’engagement britannique envers l’Afrique. Car, selon James Duddridge, ancien ministre britannique, libéré de son obligation de canaliser l’aide via l’UE, le Royaume-Uni pourra investir de façon plus efficace dans ses efforts de développement international, notamment en Afrique, et ce grâce au Commonwealth.
Des professeurs d’économie de l’Université de Witwatersrand en Afrique du Sud suggèrent également que la décision du Royaume-Uni de quitter l’UE pourrait inaugurer un nouveau chapitre des relations avec l’Afrique, à travers notamment la négociation d’« accords plus favorables » avec ses partenaires africains, ce qui pourrait générer de nouvelles opportunités pour les différentes économies du continent.
Canicha Djakba